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Les P-47 D brésiliens |
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Pour l'écolier de l'élite brésilienne, l'évocation de la participation des forces armées de son pays, aux côtés des Alliés, à la guerre contre le nazisme en Europe est presque aussi évident que peut l'être chez nous, en France, le rappel des exploits des Français libres du général de Gaulle dans la libération de la France. Un demi-millier de soldats brésiliens et une dizaine de pilotes de chasse ont donné leur vie pour la liberté en combattant contre les Allemands, de 1944 à 1945, sur les champs de bataille d'Italie où fut engagé un corps expéditionnaire de 25 000 hommes et 350 aviateurs (dont 43 pilotes). De là chose naturelle, pour tout Brésilien éduqué, d'associer les aviateurs de son pays au légendaire chasseur Republic P-47 Thunderbolt.
Il faut, en effet, savoir qu'une poignée de P-47 D est préservée au Brésil depuis les années 50 ; et l'un de ces appareils (appartenant au Museo do Ar de Campo dos Afonsos) a même été remis en état de vol cette année, à l'occasion du cinquantenaire de la Victoire. S'il est fortement prévu de le refaire voler avant la fin du siècle, ce P-47 (matricule 42-26766) se contente pour l'instant de faire pétarader son moteur au sol en faisant des tours de parkings aux mains de rares vété-rans encore verts et triés sur le volet Au nombre de ces vété-rans figure le général de brigade (C.R.) Rui Moreira Lima, un ancien du Primero Grupo de Aviacâo de Caça, 1° GAvCa. Aujourd'hui septuagénaire, le Brigadeiro Moreira Lima est une légende vivante au Brésil pour avoir raconté - à la façon de Pierre Clostermann en France - les exploits des pilotes brésiliens en Italie dans un livre paru à Rio de Janeiro peu a fin de la guerre (Tous les souvenirs du Brigadeiro Rio Moreira Lima ont fait l'objet d'un livre intitulé 'Senta a Pua' (la devise du 1° GAvCa) qui est régilièreent réédité au Brésil tous les 10 ans).
76 ans , l’œil rieur et l'esprit vif, le général Moreira Lima était de ceux qui se sont retrouvés sur la base aérienne de Santa Cruz, non loin de Rio de Janeiro, le 22 avril dernier à l'occasion de la réunion annuelle des pilotes de chasse de la Força Aérea Brasileira.
Avec à son actif 94 missions de guerre aux commandes de son chasseur-bombardier P-47 D, il a participé à la guerre en Europe, sur le théâtre italien, où il débarqua d'un cargo fran-çais, dans le port de Livourne, en juillet 1944. Parmi les distinc-tions que cet homme, blagueur invétéré et bon vivant, n'a ja-mais plus porté depuis qu'il les a rangées, il y a fort longtemps, dans un tiroir de son domicile de Rio : une Croix de guerre avec palme, remise avec un document signé de la main du chef de la France Libre. C'était suite à sa participation à la défense du terrain de San Benedetto ; plate-forme isolée qui servait aux opérations de libération du sud de la France.
Intarissable conteur de souvenirs de guerre, le général
Moreira Lima se plaît à raconter l'une de ses missions les
plus... épiques :
« C'était en avril 1945, j'étais
en mission à bord de mon "D4" pour attaquer un objectif précis
désigné par notre commandement américain quand je
fus atteint par des tirs de défense aérienne. Deux des dix-huit
cylindres du moteur de mon P-4 7 furent touchés. Enragé et
vexé, je résolus de quitter ma formation et - de revenir
en arrière pour attaquer mon agresseur, un site de Flak avec juste
derrière, ce qui semblait être un stock de munitions. Je fis
une passe de tir bien ajustée aussi bas que possible et... poursuivis
mon vol comme si de rien n'était avec un mo-teur pissant l'huile.
Notre patrouille devait bombarder un pont et un train au nord de Venise.
Nous étions à faible altitude et notre objectif fut facilement
identifié. Attaquant en dernier, je lâchais mes bombes sur
le train sans savoir que les wagons étaient bourrés de munitions.
La forte explosion qui s'ensuivit ne fit pas moins de dix-huit trous dans
la carlingue de mon P-47 (comme on le constata par la suite).
À ce stade, mon moteur, qui perdait de plus en plus d'huile
commença à prendre feu. Je songeais sérieusement à
sauter en pa-rachute. Par radio, mon commandant m'enjoignit de mettre le
cap sur l'Adriatique où un Catalina orbitant sur zone pourrait me
récupérer. Seulement arrivé au-dessus de la mer, j'ai
eu peur de sauter. J'étais encore à 12 000 pieds et l'avion
vibrait terriblement son nez enrobé de flammes et de fumée.
J'ai alors coupé l'arrivée d'essence du moteur et l'incendie
a cessé. Restait à se poser avec un avion au pare-brise recouvert
d'huile... Mais il fallait d'abord, avec mon lourd avion planeur, passer
les Apennins et atteindre une piste de secours, à Forli prés
de Ravenne, où les Polonais de la RAF venaient de s'ins-taller.
Cette piste, aperçue après de longues minutes d'angoisse,
était très courte et couverte de plaques de zinc.
Arrivant en catastrophe, je n'ai pas sorti mon train afin de conserver
un peu de vitesse et j'ai posé mon avion, au fuselage frappé
des étoiles brésiliennes, à l'aveuglette et fort lourdement
sur le ventre entre deux rangées de Spitfire. Sonné mais
bien vivant aveu-glés par l'huile brûlante du moteur, j'ai
quitté l'appareil en courant droit devant moi au hasard jusqu'à
ce que je sois rejoint par une Jeep d'où sauta un grand blond aux
yeux bleus qui, je ne le réalisai pas immédiatement, me demanda
en... portugais : "Alors comment vont les filles de Copacabana !" Il le
pouvait, il était britannique mais né à Curitiba [également
la ville natale de Pierre Clostermann dans l’état brésilien
de Paranà, Ndlr].
Il m'a aussitôt em-mené à l'infirmerie avant d'aller,
plus tard, "fêter ça" avec des Polonais présents sur
le terrain. Ils m'obligèrent à boire tant de vodka
que je suis tombé dans le coma éthylique jusqu'au lende-main
matin et c'est enco-re saoul que l'on m'a ramené à ma base
! »
Arrivé en Italie en automne 1 944 après plusieurs mois
d'entraînement dans un camp de Caroline du Nord, les membres du 1°
Grupo de Aviacâo de Caça furent intégrés au
350th Fighter Group de l'U.S. Army Air Force.
Fort de quatre esquadrilhas (portant des noms de couleur et identifiées
par les quatre premières lettres de l'alphabet ornant le capot
de leurs P-47), le 1° GAvCa avait pour mission unique le harcèlement
des positions ennemies (strafing) à l'aide de ses huit mitrailleuses,
de tubes lance-roquettes ou de bombes. Ce à quoi il s'appliqua si
bien qu'il obtint très vite la considération des aviateurs
de l'USAAF. Son palmarès indique qu'il largua plus de 1 000 tonnes
de bombes en 445 sorties et qu'il perdit huit de ses pilotes en action.
Annie Gasnier / RFI (Brésil)
Air Zone 7 - Juillet-août 1995